Sainte Julie Billiart
Au 18e siècle, le village de Cuvilly en Picardie comptait plus de 500 habitants vivant de l’agriculture et d’activités commerciales. Beaucoup d’entre eux savaient lire et écrire, comme les Billiart. Le père de Julie, François Billiart tenait un petit commerce de mercerie et de tissus. Née le 12 juillet 1751 et baptisée le jour même, Julie entre septième dans une famille qui comptera neuf enfants et souffrira du décès de plusieurs d’entre eux. Elevée par des parents très chrétiens, elle découvre très jeune l’amour de Dieu pour elle ; connaissant parfaitement le catéchisme, elle en révèle la richesse aux jeunes villageois. Le curé de la paroisse, l’abbé Dangicourt, voyant sa foi et sa générosité pour tous, l’autorise à communiquer à l’âge de 9 ans (permission exceptionnelle, 12 ans étant l’âge habituel). A 14 ans, Julie répond au Seigneur en se consacrant totalement à lui par le vœu de chasteté perpétuelle. Très ouverte, très sociable, elle noue des liens avec les petits, les pauvres et aussi avec les nobles : la comtesse Baudouin, la marquise de Pont – l’Abbé et Mme de Séchelles, qui la choisit comme distributrice de ses aumônes. Pour subvenir aux besoins de sa famille ruinée par des malfaiteurs qui ont emporté toutes leurs marchandises, Julie s’engage pour travailler avec les ouvriers de la terre à qui elle parle de Dieu et de sa bonté pour tous.
En 1774, un attentat manqué contre son père ébranle sa santé par la fatigue. Progressivement elle devient incapable de marcher ; en 1782, un traitement inadéquat la cloue immobile dans une toute petite chambre qui se transforme en centre d’accueil et de prière. La communion quotidienne soutient son courage. La Révolution française éclate en 1789 ; son décret, la « Constitution civile de clergé » fait de l’Eglise catholique une Eglise d’Etat (1790). Tous les prêtres doivent lui prouver fidélité en prêtant serment. Le 9 Janvier 1791, le curé Dangicourt prête serment en affirmant son attachement à l’Eglise (serment jugé non constitutionnel). Son remplacement, en mai, par un prêtre constitutionnel, fait naître des émeutes ; l’armée de Compiègne intervient et rétablit l’ordre très rapidement. Mais l’avenir inquiète ; Julie, dont on connaît la foi profonde, serait–elle en danger ? Madame de Pont- l’Abbé la fait chercher et conduire dans son château de Gournay–sur- Aronde. Julie y demeure un an approximativement, jusqu'au moment où, vu les troubles, on l’oblige à fuir en secret, cachée dans une charrette de foin. En 1792, Julie est Compiègne avec sa nièce Félicité (endroit non précisé). Elle y vit dans le silence, ayant perdu l’usage de la parole ; son cœur et sa prière portent la souffrance d’une ville privée des ressources essentielles et occupée par de nombreuses troupes, la souffrance aussi de ceux qui sont blessés par la déchristianisation, celle des Carmélites chassées de leur couvent, et de combien d’autres. Au cours de l’année 1793, les visites de l’abbé de Lamarche sont pour Julie source de réconfort par ses paroles et le secours des sacrements.
Le Seigneur lui-même s’approche d’elle mystérieusement et lui révèle sa vocation de fondatrice d’une congrégation marquée par la croix. Julie unit son oui à celui de Marie. Suite à la demande réitérée de Mme Baudouin, Julie accepte d’être conduite à Amiens. La comtesse, très éprouvée par la mort sur l’échafaud de son père et de son mari, espère que la présence de l’infirme l’aidera à vivre avec sa souffrance. Elle-même a loué un appartement pour elle et ses trois filles. En octobre 1794, Julie arrive à Amiens.
Françoise Blin de Bourdon
Françoise Blin de Bourdon, née le 8 mars 1756, est baptisée le lendemain. A part quelques séjours à Bourdon, elle passe son enfance chez ses grands parents maternels, les de Fouquesolles, à Gézaincourt en Picardie. A partir de 1762, elle est pensionnaire l’été – époque des réunions mondaines et des fêtes à la campagne – chez les Bénédictines de Doullens, elle poursuit ensuite ses études chez les Ursulines à Amiens En 1775, ses parents insistent pour qu’elle revienne à Bourdon où son amitié, sa joie, sa simplicité font le bonheur de chacun. D’un esprit vif et pénétrant, elle est accueillie avec sympathie par la noblesse et elle jouit du côté séduisant du monde. Mais, au fond d’elle-même et dans sa prière, elle comprend qu’elle doit être toute à Dieu. La souffrance la rejoint : son frère, véritable ami et confident, se marie et s’établit à Amiens où il achète un hôtel rue des Augustins ; sa mère, blessée dans un accident de voiture, s’est éteinte le 2 avril 1784 et son grand père, le baron de Fouquesolles décède le 24 février de la même année. On réclame la présence de Françoise à Gézaincourt. Elle y retourne, ayant confié son père à sa sœur et à sa famille. Dans ses notes personnelles, elle avait écrit, en 1783, « demi-conversion, lumière imparfaite » et, en 1785, « conversion entière. Résolution invariable d’écarter tout ce qui m’éloignerait de ma fin ». Elle souhaiterait entrer au Carmel. Le don d’elle-même, elle le fera à sa grand-mère, aux villageois, dans un apostolat discret et une charité intuitive des besoins. En 1789, la Révolution éclate. Le vicomte Blin de Bourdon est arrêté, on le soupçonne de vouloir émigrer (1793). Son fils, qui veut le défendre, est emprisonné le 17 décembre. En février 1794, Françoise est conduite à la prison de la Providence à Amiens, en lieu et place de sa grand-mère qui meurt le 18 mars. Sa belle–sœur et son neveu de 12 ans la rejoignent. Vu l’encombrement des maisons d’arrêt, on propose aux prisonnières d’être transférées chez les Carmélites, retenues captives dans leur monastère. Seule Françoise accepte. La mort de Robespierre ouvre les prisons. Le père de Françoise et son neveu sont libérés le 3 août, elle-même les rejoint le 4, et son frère, le 15 septembre. C’est la joie à l’hôtel Blin de Bourdon. Le Vicomte part ensuite pour Bourdon ; Françoise reste un an à Amiens.
La rencontre
Peu de temps après l’arrivée de Julie à l’hôtel Blin, Madame Baudouin propose à Françoise de porter quelque intérêt à Julie. Les premières rencontres sont pénibles, l’infirme s’exprime avec peine. Mais Françoise se veut fidèle et poursuit ses visites. Contre toute attente naît entre elles une réelle amitié.
Un jour, la comtesse rencontre dans les rues d’Amiens un prêtre qu’elle connaissait bien, l’abbé Thomas. Réfugié, il exerçait en secret son ministère dans la ville. Madame Baudouin l’invite à rendre visite à Julie. Le dynamisme de l’abbé soutient la volonté de Julie qui progressivement sera libérée de son mutisme. Quand lui-même logera au « petit quartier », il célébrera l’eucharistie et même des baptêmes dans la chambre de Julie où se réunissent des amies de Françoise. L’évêque de Saint-Papoul y conférera aussi la confirmation en 1797. En Juillet 1795, Françoise se rend à Gézaincourt pour régler la succession de la Baronne de Fouquesolles. Elle rejoint ensuite à Bourdon son père souffrant. A Pâques, bref séjour à Amiens, puis retour rapide auprès de son père dont la santé est loin de s’améliorer. Françoise sera pour lui une présence attentive et aimante. Elle le conduira à la rencontre paisible avec le Seigneur le 1er février 1797. Pendant ces deux longues années, les lettres de Julie aideront Françoise à vivre dans une confiance totale en Dieu. A son retour à Amiens, Françoise partage la prière des jeunes filles réunies autour du lit de Julie et qui suivent une petite règle donnée par le Père Thomas. Mais l’existence de la petite communautaire est éphémère et Françoise restera la seule compagne de Julie.
Bettencourt
Fin 1797, une nouvelle terreur éclate. On recherche les prêtres qui refusent la haine à la royauté. L’abbé Thomas, poursuivi jusque dans l’hôtel Blin, échappe de justesse à ses agresseurs le 15 juin 1799. Le lendemain, l’abbé Thomas, Françoise, Julie et sa nièce Félicité se réfugient à Bettencourt dans un petit château mis à leur disposition. Le coup d’état de Bonaparte en novembre 1799 sonne la fin de la Révolution. Les réfugiés d’Amiens apportent une nouvelle vie au village. Les familles sont évangélisées et découvrent à nouveau le chemin de l’église. Les enfants apprennent à lire et à écrire sous l’œil de leurs maîtresses attentives. L’air de la campagne, la tranquillité de l’endroit affermissent la santé de Julie. Elle parle avec plus de facilité et elle passe la journée sur une chaise longue, entourée de tous ceux qui découvrent près d’elle la bonté de Dieu.
C’est à Bettencourt que la vocation reçue à Compiègne est confirmée par le père Varin, supérieur des Pères de la Foi, lors d’une de ses visites au Père Thomas. Découvrant l’intelligence exceptionnelle de Julie pour l’enseignement du catéchisme, il n’hésite pas à lui dire qu’elle est appelée à se dévouer à l’éducation de la jeunesse.
Amiens
En février 1803, Julie, Françoise et le Père Thomas quittent Bettencourt pour Amiens. Ils logent provisoirement à la rue Puits-à-Brandil ; puis, le 5 août, ils prennent possession, rue Neuve, d’une maison plus spacieuse, dite « des enfants bleus ». Cette expression, née au 17ème siècle, désignait un orphelinat pour petits garçons portant un uniforme bleu. Le Père Varin confie à Julie quelques orphelines abandonnées et l’engage à s’entourer de personnes de bonne volonté, à l’esprit droit, sans égards pour la naissance ni la fortune. « Dieu, disait-il, bénira en vous l’esprit apostolique. » Le 2 février 1804, Julie, Françoise et Catherine Duchâtel se consacrent à Dieu par le vœu de chasteté et s’engagent à travailler de toutes leurs forces à l’éducation des jeunes filles. Elles se proposent de former des maîtresses d’école qui iraient là où elles seraient demandées. A partir de ce jour-là, elles prennent le nom de Sœurs de Notre-Dame et reçoivent, des mains du Père Varin, une petite règle à titre d’essai. L’Eglise de France avait retrouvé sa liberté, par le Concordat signé le 15 août 1801, et son statut, par les Articles organiques du 8 avril 1802. Mais toute une vie de foi était appelée à renaître. Les Missions prêchées en 1804 vont être la source de ce renouveau. Celle d’Amiens est animée dans les cinq paroisses par les Pères de la Foi qui confient à Mère Julie et à sa compagne l’évangélisation de ceux qui ignorent tout de la religion. Les sœurs se révèlent de véritables missionnaires et cette expérience détermine les Pères à associer davantage Julie à leurs travaux apostoliques. Mais elle est toujours incapable de marcher, il faudrait un miracle. Le miracle est accordé à la prière ardente du Père Enfantin au Sacré-Cœur de Jésus : le 1er juin, Julie marche. Elle est guérie. Elle part avec les ardents missionnaires pour Saint-Valéry-sur-Somme, puis pour Abbeville. Ses lettres apportent à la petite communauté d'Amiens le récit émouvant et enthousiaste de journées tout occupées à partir de la bonté du bon Dieu. Elles témoignent aussi de l’affection de Julie pour chacune : « pensez bien que mon cœur est au milieu de vous ». En 1804 et 1805, la congrégation naissante s’agrandit. Le 2 juillet 1805, le Père Varin présente lui-même un projet de règle plus précis concerté avec la fondatrice. En vue de l’extension de l’Institut, le Père Varin voulait qu’il soit gouverné par une supérieure générale chargée de visiter les maisons et de susciter l’esprit apostolique. Cette règle, à l’essai pour trois mois, fut acceptée avec joie, et approuvée ensuite par Mgr Demandolx, le nouvel évêque d’Amiens. Le 15 octobre, Mère Julie, Sœur Blin, Victoire Leleu et Justine Garson font profession entre les mains du Père Varin et s’engagent par vœu à observer la règle qu’il leur avait donnée. Mère Julie prend le nom de sœur Saint-Ignace qu’elle ne portera qu’après le rétablissement de la compagnie de Jésus en 1814. Le lendemain, le 16 octobre, Mère Julie est élue supérieure générale. Fin de l’année, sur le point de quitter Amiens, le Père Varin, avec le pouvoir que lui a conféré l’évêque, nomme le Père Leblanc, supérieur des Pères de la Foi à Amiens, supérieur ecclésiastique de la nouvelle congrégation ; le Père de Sambucy de Saint-Estève en sera le confesseur. Quant au Père Thomas, il était parti le 10 septembre pour prendre part à des œuvres apostoliques dans le Midi. Comme supérieure générale, Mère Julie exerce son autorité avec grand naturel et beaucoup de liberté d’esprit ; elle veille à la formation religieuse des sœurs responsables de l’enseignement de la religion et désire avant tout que chacune soit profondément unie à Dieu. Le 2 février 1806, une vision lui montre ses sœurs passant les mers pour porter au loin le message de la Bonne Nouvelle. L’approbation de la congrégation par décret impérial du 19 juin, confirmé le 10 mars 1807, met la communauté à l’abri de difficultés administratives. Fin juin, Mère Julie accepte d’accompagner en Flandre le Père Leblanc dans l’espoir d’y faire quelque bien. Présentée à Mgr Fallot de Beaumont, évêque de Gand, elle consent, avec prudence, au désir d’avoir une maison des Sœurs de Notre-Dame dans son diocèse. Elle pose deux conditions : que les jeunes Flamandes connaissent un peu de français et soient formées à Amiens. Ce sont des voyages successifs et de courtes apparitions à Amiens où les sœurs quittent, en août, la rue Neuve pour s’établir au Faubourg de Noyon et ouvrir une école qui rencontre un grand succès. En décembre, Mère Julie repart encore pour la Flandre, mais avec trois jeunes sœurs pour la fondation de Saint-Nicolas le 17. Ce jour-là, les sœurs de Notre-Dame portent pour la première fois le costume religieux. Mère Julie reste deux mois à Saint-Nicolas pour organiser le nouvel établissement. Avant de rentrer à Amiens, elle s’arrête à Namur, fin janvier 1807, pour rencontrer Mgr Pisani de la Gaude ; il sera convenu entre eux d’ouvrir une école l’été suivant. L’évêque ne tarde pas à louer une maison et à la meubler de tout le nécessaire. De retour à Amiens le 4 février, Mère Julie accepte les conditions proposées pour une fondation à Montdidier et, le 21 février, elle y conduit deux sœurs. « Je ne sais comment, en écrivant la vie de la Mère Julie, on pourrait passer sous silence les torts que Monsieur de Sambucy et l’évêque d’Amiens, sollicité par ce monsieur, ont eus envers Julie » écrit un témoin de l’époque. Après le départ des Pères de la Foi pour Montdidier où ils créent un collège et un pensionnat sous la direction du Père Leblanc, le Père de Sambucy est resté presque seul à Amiens. Il se croit appelé à rédiger une règle plus parfaite – selon lui – pour la petite communauté. Plus de supérieure générale, plus de lien entre les différentes maisons circonscrites d’ailleurs dans un seul diocèse. C’était s’opposer à l’intuition fondamentale de Mère Julie, à ce qu’elle appelait l’esprit primitif. A l’occasion du voyage de Mère Julie en Flandre, son mécontentement éclate. Obligé d’obéir à l’autorité du Père Leblanc, il ne peut empêcher la fondation de Saint-Nicolas ni les démarches de Mère Julie pour aller chercher des postulantes. Le Père de Sambucy, blessé dans sa suffisance, indispose contre elle Mgr Demandolx. Celui-ci, souffrant et très fatigué par la réorganisation de son diocèse, adopte sans examen les idées de monsieur de Sambucy. Mère Julie n’avait pas oublié la promesse faite à Mgr Pisani de la Gaude de fonder une école à Namur. Elle présente à Mgr Demandolx les arrangements prévus et le nom des sœurs destinées à la nouvelle fondation. L’avant-veille du départ, sous la pression de Monsieur de Sambucy, l’évêque lui ordonne de remplacer une des sœurs par Mère Saint-Joseph. C’était jeter le trouble dans la communauté d’Amiens et la priver de celle qui créait l’unité. Avant leur départ, Mr de Sambucy demande à Mère Julie le prêt – sans stipulation d’intérêts – d’une somme assez importante, réservée pour l’achat d’une maison. De plus, il exige de Mère Saint-Joseph une procuration générale pour la gestion de ses biens. Elle la lui remet par acte notarié du 29 juin Privées de toutes ressources, les fondatrices quittent Amiens le 30 juin 1807 ; deux sœurs les accompagnent. Arrivées à Namur le 7 juillet, elles prennent possession de la maison, rue de l’évêché. Mgr Pisani les accueille avec grande sympathie ; il donne pour confesseur à la communauté Mr Minsart, ancien bernardin de Boneffe, en qui elles auront toute confiance. Le 23 juillet, elles reçoivent la visite du Père Leblanc, relevé par Mgr Demandolx, au lendemain même du départ de Mère Julie et de Sœur Saint-Joseph, de ses responsabilités de supérieur ecclésiastique des sœurs d'Amiens, et remplacé par M.de Sambucy. Assez rapidement, Mère Julie part pour Bordeaux où l’archevêque souhaitait l’affiliation d’une association pieuse aux Sœurs de Notre-Dame, leur but étant commun. Elle y arrive le 5 août après un voyage très fatigant, participe à la formation des nouvelles sœurs dont 18 reçoivent l’habit le 8 septembre. A la demande insistante du Père Varin et de Mgr Demandolx, elle quitte Bordeaux le 12 novembre, fort étonnée de n’avoir reçu aucune lettre de la communauté d’Amiens depuis le mois de juillet. Elle en comprendra la cause quand elle sera mise au courant de la « gestion » de Mr de Sambucy. Le lendemain du départ des fondatrices, il nommait comme supérieure de la maison Sœur Thérèse Boutrainghan (peu apte à porter cette responsabilité), il changeait son nom en celui de Mère Victoire, bouleversait les emplois et introduisait des usages inconnus jusqu'alors.
Toutes les lettres passaient par ses mains ; on comprend pourquoi elles ne parviennent pas à leur destinataire. La communauté troublée réclame avec insistance les deux fondatrices. A son retour de Bordeaux, Mère Julie s’arrête à Poitiers où Mère Barat l’accueille avec froideur. A Paris, le 20 novembre, elle rencontre la supérieure générale des Filles de la Charité qui lui remet une lettre de Mgr Demandolx lui interdisant de rentrer au faubourg Noyon, et même dans son diocèse. Par l’intermédiaire de personnes amies, Mères Julie obtient l’autorisation de rentrer à Amiens, elle se présente à l’évêque avec très grande humilité lui demandant même pardon. Dans une lettre du 25 janvier 1808, Mère Julie fait part à Mère Saint-Joseph de l’accord de Mgr Demandolx pour une fondation demandée à Jumet, elle-même pourrait y conduire les sœurs. Le 2 février, « tout a changé de face « écrit-elle. Le 21 mars, deux sœur partent pour Jumet, il est interdit à Mère Julie de les accompagner. La vie d’Amiens est très pénible, un petit parti s’est formé contre elle dans la communauté, et Mr Cottu, le nouveau supérieur, ne fait rien sans l’avis de Mr de Sambucy. « Mon cœur et mon âme se reposent en mon Dieu, à travers tous les brouillards de la Somme », confie-t-elle à Mère Saint-Joseph. En avril, Mère Julie n’est pas peu étonnée d’entendre Mgr Demandolx lui proposer une visite aux sœurs de Jumet. Elle y part rapidement, y règle l’organisation de la communauté et des classes. Elle passe ensuite à Namur et met M.Minsart au courant des difficultés à Amiens; Mgr Pisani, consulté au sujet de la procuration sur ses biens, arrachée à Mère Saint-joseph, lui conseille d’accompagner Mère Julie à Amiens. Elles y arrivent le 5 mai ; l’évêque ne peut les recevoir, devant s’absenter le surlendemain pour deux mois. A son retour Mgr Demandolx fait part aux fondatrices de sa volonté de modifier les règles et de supprimer la responsabilité d’une supérieure générale. Fin juin, Mère Julie est demandée à Bordeaux ; elle y part le 1er août avec l’obligation de passer par Paris et de remettre au Père Varin un dossier cacheté. Elle s’y rend confiante, mais elle y entend la condamnation de sa conduite. Elle reçoit l’ordre de retourner à Amiens et de s’adresser à Mgr de Sambucy pour la rédaction des règles. Celui-ci, après de longues discussions avec la fondatrice, prétexte d’autres affaires pour ne pas rédiger ; c’est à Mr Cottu qu’incombera cette responsabilité. Avec la présence de Mère Julie, la communauté d’Amiens reprend une nouvelle vie. Mais, à Namur, la santé des sœurs et le projet d'une maison plus grande exigent une visite de la fondatrice. Mgr Pisani et l’abbé Minsart insistent pour son retour. Dès son arrivée, le 21 octobre, Mère Julie analyse avec l’évêque l’à-propos d’une maison plus spacieuse, à la rue des Fossés. Le bail est passé le 24 octobre ; le 6 décembre, les sœurs l’occupent. Elle sera achetée le 13 décembre 1809. Après être passée à Gand, Saint-Nicolas et Jumet, Mère Julie rentre à Amiens à la mi-novembre. Dès son retour, Mr Cottu lui présente un projet de règle : pas de supérieure générale ni de visite régulière des maisons, aucune fondation en dehors du diocèse. Les fondatrices demandent un an pour y réfléchir. Début janvier, elles se présentent à l’évêché et n’y sont pas reçues. La situation est de plus en plus critique. Mère Julie commence une neuvaine à l’Enfant Jésus, le 5 janvier 1809. Le 12, l’abbé Cottu transmet un message de l’évêque : « ce dernier laissait Mère Julie libre de se retirer dans tel diocèse qu’elle voudrait, quant à lui, il allait reprendre la maison pour y former de vraies Sœurs de Notre-Dame » Le 15 janvier, Mère Julie quitte Amiens avec cinq sœurs et son neveu ; le 21 au soir, elle arrive à la maison des SND rue des Fossés ; une deuxième voiture la rejoint le lendemain matin.
Namur
Mère Saint-Joseph est restée à Amiens pour « terminer les affaires ». Elle doit à nouveau s’opposer à Mr de Sambucy qui exige son bien pour la maison d’Amiens. Mère Julie lui écrit, la soutient et lui confie que Mgr de Pisani veut que la maison de Namur soit la maison mère. Le 5 mars, Mère Saint-Joseph arrive à Namur à la joie de toutes. La présentation, assez longue, des difficultés à Amiens permet de découvrir le courage de Mère Julie et sa confiance en Dieu. Elle a sauvé « l’esprit primitif » de la congrégation, qui s’exprime aujourd’hui à travers le monde. Mère Julie doit se rendre plusieurs fois à Amiens pour obtenir finalement le remboursement de la dette que l’abbé de Sambucy « semblait » oublier.
Le 23 octobre 1812, Mgr Demandolx insiste pour son retour à Amiens, et exprime ses regrets « d’avoir été trompé ». Le 17 novembre, l’évêque lui fait parvenir un acte la reconnaissant supérieure générale de toutes les maisons des SND. Ce qui préoccupe Mère Julie, à Amiens, ce sont les dettes de la maison du Faubourg Noyon et l’obligation d’en chercher une autre au loyer moins onéreux. Elle en trouve une « aux Moreaucourt » près d’une filature de coton. L’accord est donné, puis refusé. Les sœurs se trouvent sans asile. Mère Julie demande alors que l’établissement soit supprimé par l’autorité diocésaine, ce qui est décidé le 7 janvier 1813. La vocation profonde de Mère Julie est l’éducation chrétienne, surtout des enfants pauvres. Elle y avait déjà répondu en fondant des écoles à Amiens, Saint-Nicolas, Montdidier, Rubempré et Jumet. Résidant à Namur depuis janvier 1809, elle pouvait répondre aux demandes qui lui arrivaient des diocèses de Belgique. Elle savait Mgr Pisani favorable à toutes ses démarches. Il faut alors la suivre – en diligence ou à pied – parcourant des kilomètres pour assurer une maison assez accueillante pour les sœurs et leurs élèves. En 1809, elle est à Saint-Hubert ; en 1810, c’est la fondation du Nouveau-Bois et, en 1811, l’installation à Zele. L’essentiel n’est pas une énumération, mais la découverte d’une âme passionnée pour la gloire de Dieu. Passionnée pour la formation des sœurs responsables d’apporter à « ses chères petites filles" – comme elle aime le répéter – la Parole de Dieu et son message d'amour.
Ses lettres sont un trésor qui livre les relations privilégiées de Mère Julie avec ses sœurs ; les phrases jaillissent du cœur et éveillent à l’attention au plus petit, elles suscitent pour lui respect et patience, bonté et charité. Les grandes lignes de l’éducation sont tracées : « que les enfants connaissent à fond leurs devoirs envers Dieu, envers le prochain et envers elles-mêmes. » et comme le rappellent ses conférences, il faut former « de bonnes chrétiennes », des personnes utiles dans la société, de grandes âmes capables de persévérer dans le bien. Et les fondations se poursuivent, sans en nier les difficultés. On voit naître des écoles à Andenne et Gembloux en 1813, et en 1814 à Fleurus. L’année suivante, des démarches se poursuivent à Liège et à Dinant. Ce serait mal connaître Mère Julie de penser que son souci éducatif se porte uniquement sur les enfants pauvres. Les lettres montrent son grand intérêt pour les externes et les pensionnaires, à qui elle distribuera elle-même les prix avant un souper en famille. Il y a chez la fondatrice une écoute de son temps auquel elle apporte la réponse adéquate. Et la contribution financière demandée aux parents de ces jeunes filles, si elle soutient la vie de la communauté, est destinée également aux classes des enfants pauvres. Et d’ailleurs comme l’écrit Mère Julie à la supérieure d’Andenne : « Je m’embarrasse fort peu d’avoir deux francs par enfant, j’aimerais mieux en avoir davantage (des enfants) et prendre moins d’argent ; cela irait bien mieux pour la gloire du Bon Dieu » Le détail de ces belles histoires serait à connaître ; les archives en gardent précieusement le souvenir. Ce qui est aussi à souligner, c’est l’amour de Julie pour l’Eglise. Elle rend visite - en secret - à Pie VII, prisonnier de Napoléon, à Fontainebleau (après le 23 mars 1813). A Namur, elle défendra l’autorité et la réputation de Mgr Pisani quand on le soupçonnera d’avoir souscrit au Catéchisme Impérial, ce qui était tout à fait faux ; au contraire, il avait refusé de l’imposer à son diocèse. Ces préventions étaient nées à Gand et à Tournai et s’étaient même répandues jusqu’à Namur du fait que l’évêque de Namur avait quitté, libre, le concile national de 1811 où il avait défendu les droits de l’Eglise et du Pape, comme Mgr de Broglie et Mgr Hirn, qui furent, eux et d’autres, exilés de leur diocèse (jusqu’en 1814). Les récriminations, les attaques même violentes atteignaient autant l’évêque que Mère Julie. Celle-ci se crut obligée, pour le maintien de l’union dans la congrégation, d’écrire au Grand-vicaire de Gand, pour justifier sa conduite. «On a su prévenir les sœurs contre moi, disant que je les entraînerais un jour ou l’autre dans l’erreur. » Mère Saint-Joseph témoigne «jamais je ne pourrai rendre ce qu’on a fait souffrir la Mère Julie à cette occasion : quel tiraillement, quelle douloureuse anxiété. On agissait comme si on eût quelque chose à craindre d’elle. »
De plus, des sœurs inquiètes pour la perfection de l’Institut accusaient la fondatrice de non observance de la règle, alors qu’il s’agissait des distances prise à l’égard d’un petit règlement coutumier. Tout cela suscita chez certains ecclésiastiques l’idée de vouloir diviser l’Institut selon les diocèses. Mgr Pisani, mis au courant, donna à la congrégation, un « supérieur extraordinaire », Mgr l’abbé Médard, son vicaire général. Un fait témoigne encore de l’attachement de Mère Julie à l’Eglise. En 1815, à la demande de son évêque, elle rencontra les Ursulines de Namur. Celles–ci, très influencées par un certain chanoine Stevens, qui avait refusé le concordat, étaient entrées dans un parti, sorte de secte schismatique, qui n’acceptait pas de se soumettre à l’autorité hiérarchique. En vain, Mgr Pisani avait-il essayé de renouer des relations, ce sont Mère Julie et Mère Saint-Joseph qui éveillèrent les consciences. Et les Ursulines donnèrent individuellement leur soumission à l’évêque. Pour découvrir encore le cœur de Mère Julie, il convient de lire le chapitre « la guerre » ou le père Clair trace les grandes lignes d’une histoire douloureuse en 1814-1815. « Comment redire les inquiétudes de Mère Julie dans les jours qui précédèrent et suivirent ces grandes luttes? Elle tremblait pour ses filles, elle n’eut d’autres ressources que la prière, d’autre soutien que sa confiance en Dieu. » « Elle soutint toutes les alarmes avec une grande force d’âme, nous encourageant et nous excitant à la confiance. Ces émotions affectèrent beaucoup le système nerveux, qu’elle avait fort sensible et contribuèrent à la maladie mortelle qui se déclarasix à sept mois après. »